En Attente

Galerie La Bouée, Cherbourg

Du 12 novembre 2021 au 2 janvier 2022

 

[VO]-[Virginie Levavasseur et Olivier Noël]

« En attente », en cours de…

L’exposition En attente met en espace des formes nies et de l’inachevé ; nous proposons des structures-machines (une étuve, un tour à corde…) entre la sculpture et l’outil. Le visiteur oscille entre le temps de la création et celui de la monstration, entre le temps du chantier, du faire de l’atelier et celui de l’exposition de la galerie. Des temps qui se superposent, des temps qui donnent à voir la construction, la fragilité et la métamorphose.

En attente, c’est être dans les stigmates d’un temps, avec une métamorphose de pièces au long de l’exposition (fonte de glaçon, terre qui se fend) rappelée par la présence du vivant. Les poissons intégrés dans un tabouret-bocal, le bonsaï dont l’hydratation dépend d’un goutte à goutte que laisse filtrer la porosité d’une céramique suspendue et pleine d’eau.

Prendre le temps, être en attente

Dans l’espace d’exposition : des sièges chevrotants, indécis ou interdits, des non-sièges, et des éléments en suspension. [VO], c’est l’association d’un designer et d’une plasticienne. Est mis en exergue le temps qu’on ne prend plus dans une société de la vitesse.
Le travail se saisit des propos de Zygmunt Bauman interrogeant La vie liquide, ainsi que de ceux de Hartmut Rosa dans Accélération.
Dans son livre La Vie liquide, Bauman décrit nos sociétés contemporaines comme des univers sans repères, sans réelles structures, si ce n’est celle d’un mouvement permanent, à l’image des vagues d’un univers liquide.

Nous interprétons dans notre installation ce temps qui ne cesse de s’écouler. La vie sociale que le ralentissement – qui serait sans doute salutaire – déstabilise, comme cette roue mue par la fonte de glace que la lenteur fragilise. Dans l’espace, d’étranges et frêles balançoires de céramique font face à des modules en pisé, verticalités de terre suspendues ou retenues, marques flagrantes de fragilité et d’usage impossible.

Cette tension de la suspension se développe également dans l’espace, par l’installation, par la création de salles d’attente potentielle, ou d’espaces architecturaux frêles et peu sûrs.

Matières et formes en attente

Nous expérimentons ! On aime la céramique pour ses aléas, pour les caprices de la terre. Ces matières naturelles exigent un temps de fabrication lent. Par l’utilisation du pisé, de la terre crue ou cuite, sont estompées les limites des process de l’architecture, de l’artisanat et du design. Il s’agit de donner à voir l’objet toute son indépendance. La forme créée existe en dehors de toute appartenance.

Faisant écho aux sièges interdits (bancs interdits aux SDF, chaises réservées, distanciation sociale), les installations de ces formes inutiles atteignent une existence propre et autonome. Comme dans un laboratoire de la suspension, les éléments prennent leur place, et acquièrent une profondeur temporelle (ou hors temps).

Crédits photos : Samuel Gourfink

En attente. la bouée.
Notes au sortir de l’exposition ;

Cherbourg, fin d’après-midi d’hiver. L’air est vif et la salle d’exposition de La Bouée prend allure de refuge.
La salle est pleine.
Pleine de travaux comme le serait l’atelier, pleine d’idées. Vivante.
[V.O.], pour Virginie et Olivier, y présentent leurs derniers travaux.
De la terre cuite, du pisé, des pierres, du bois, du métal, de l’eau, de la glace, de la vapeur, du contre-plaqué, du grillage, du papier et du temps. Il faudrait commencer par la table des matières.
Et puis il y a la gaize ramenée au pays des schistes armoricains.
Les cartels sont écrits à la main comme en attendant. En attente.
On navigue entre les œuvres passant de l’une à l’autre dans un espace assez serré, seule la salle d’attente est vide. Il y a des chaises et un petit livre.
Tout est en devenir, en transformation. La glace fond, la vapeur se répand, la roue avance.
Il y a des plantes aussi qui poussent lentement, plus lentement que nous.
Les concepts ne sont que des points de départ.
Les pièces se construisent au fur et à mesure du travail.
Le processus de fabrication provoque l’histoire au risque de changer la forme.
Le souvenir des outils est toujours présent. L’étuve, les serre-joints, les moules et les poulies deviennent parties prenantes de la composition. La forme naît souvent de la mise en œuvre : la préparation du chantier.
Les cuissons transforment la terre à outrance. La place de l’imprévu.
La double origine : Le design et les arts plastiques amène une grande ouverture. L’aventure du travail reste primordiale.
Certaines pièces prêtent à sourire devant l’incongruité : Assises impossibles, sièges déformés ou à peine ébauchés. D’autres au contraire nous renvoient à nos intimes angoisses :
L’effritement, la perte, l’usure et les marques du temps.
Je pense à Bruce Nauman qui décida un jour de présenter les moules plutôt que les pièces qui en sortiraient. Le regard est attentif au travail en train de se faire. Chaque péripétie devient sujet d’une nouvelle proposition.
Rien n’est figé, les références à l’histoire ne sont jamais cachées.
Malgré la gravité on sent la joie de travailler ensemble. Le plaisir d’une certaine contradiction qui oblige l’autre à accepter une voie médiane, une déviation… vers une dialectique plastique. La sculpture est affaire d’échanges et d’expérimentation.

Philippe Godderidge